*Ce manuscrit du XIIe siècle, recueil d’œuvres de Geoffroy, est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque municipale de Vendôme sous la cote 193. Curieusement, le premier feuillet de la lettre à Robert y fait défaut…
Promue abbesse en 1637, confrontée à une rébellion des moines fontevristes , Jeanne-Baptiste de Bourbon tenta, dés son entrée en fonctions (1637-1670) d’obtenir la canonisation de Robert d’Arbrissel vers 1645. Fille légitimée d’Henri IV, demi-sœur de Louis XIII, elle pouvait compter sur de puissants appuis. Exalter la figure du fondateur, c’était une habile manière de rappeler qu’il avait lui-même conçu, à Fontevraud, la soumission des hommes à l’abbesse.
C’était aussi prendre le risque de mettre en lumière les aspects les plus sulfureux de l’ermite médiéval. Deux lettres en particulier témoignaient de son comportement suspect avec les femmes : l’une due à Marbode, évêque de Rennes, l’autre à Geoffroy , Abbé de l’Abbaye de la Trinité de Vendôme
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Et voici un extrait de ce qu’écrivait l’Abbé Geoffroy.
j’ai appris qu’il court sur votre compte des bruits sinistres d’après lesquels vous auriez fait et vous feriez encore des choses telles que, si elles sont vraies, il faut les réformer.en toute hâte, sans chercher aucune excuse pour vous défendre ; j’en conjure votre candeur par les entrailles de ma charité fraternelle ! J’ai entendu dire en effet que dans votre active sollicitude pour le sexe féminin, que vous avez entrepris de gouverner, vous suivez deux modes de conduite très opposés l’un à l’autre, mais qui excèdent également les bornes de la discrétion.
Il est, dit-on, certaines femmes auxquelles vous permettez d’habiter familièrement avec vous ; on ajoute même que vous ne rougissez pas de coucher souvent pendant la nuit avec elles et au milieu d’elles, et par là vous croyez, ainsi que vous l’affirmez vous-même, porter dignement la croix du Sauveur, en vous efforçant d’éteindre les ardeurs de la chair si imprudemment allumées.
Si vous agissez, si vous avez jamais agi ainsi, vous avez imaginé un nouveau genre de martyre inconnu jusqu’ici, mais infructueux ; car on ne peut tirer aucun fruit, aucune utilité de ce qui est contraire à la raison.
La lettre volée. Le manuscrit 193 de la bibliothèque de Vendôme – © CNRS-IRHT 2002
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Qu’à cela ne tienne ! Jeanne-Baptiste envoie deux religieux à l’abbaye de la Trinité, avec mission de détruire les feuillets du manuscrit qui conservent l’embarrassante missive de Geoffroy. Les émissaires arrivent à s’introduire dans la bibliothèque, mais, par incompétence ou par précipitation, ils ne soustraient au manuscrit que le premier feuillet portant la lettre adressée à Robert. Jeanne-Baptiste, par ailleurs, semblait ignorer que d’autres manuscrits, en particulier celui du Mans, contenaient copie de la même pièce et qu’elle avait été éditée par Sirmond en 1610.
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L’anecdote est contée avec brio par Jules de Pétigny dans un bel article publié en 1854 dans la Bibliothèque de l’École des chartes, article auquel nous vous renvoyons… un régal !