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Oulipo* . Le Livre que « lisait » peut-être le gisant d’Aliénor

http://www.oulipo.net/

© Oulipo et les auteurs, 2014

 

Préface

En janvier 2013, Xavier Kawa-Topor, directeur de l’abbaye de Fontevraud, écrivait à Jacques Roubaud :

« […] le gisant d’Aliénor est présenté dans l’église abbatiale de Fontevraud à côté de ceux d’Henri II Plantagenet et de Richard

Cœur de Lion. Il représente la reine tenant un livre ouvert sur la poitrine. Il semble qu’il s’agisse là de l’une des premières

représentations en Occident d’une femme à la lecture.

Surtout, ce livre est aujourd’hui ouvert sur une double page vierge. Prenant ces pages blanches pour une invitation, nous aimerions

mener à partir d’elles un projet de création littéraire pour répondre à la question sans réponse : que lit Aliénor d’Aquitaine ?

Nous pensons qu’il y a matière à un projet collectif que nous serions heureux d’envisager avec l’Oulipo. S’agissant d’Aliénor, petite-fille

de l’auteur du « Vers de pur rien »,   (NDLRB . Guillaume IX de Poitiers  1071-1127) c’est à vous que je m’adresse dans cette perspective. »

           L’Oulipo, qui se dote de règles pour explorer les potentialités de la langue, ne pouvait qu’être stimulé par cette proposition. Ce livre de

pierre, devenu symbole du support par l’absence même du contenu, était une invitation à réfléchir aux nouvelles potentialités de la lecture

dans l’environnement numérique. Mettre en œuvre un projet de ce type me permettait de donner suite à mes propres explorations des

formes de l’écriture numérique.

 

Que lit le gisant d’Aliénor d’Aquitaine ? Rien, le livre est blanc ;  rien, ses yeux sont fermés ; s’ils étaient ouverts, ils regarderaient par

dessus le livre. Quel livre aurait pu lire Aliénor ? Un psautier le plus vraisemblablement, mais peut-être d’autre livres de son temps : en

latin, en provençal, en ancien français, en anglais ? Les questions  restent en suspens autour de cette « musicienne du silence », figure

mallarméenne par anticipation.

 

  La proposition de l’Oulipo autour de ce livre blanc est double : un recueil de textes et une installation dans l’abbatiale.

Le Livre d’Aliénor est un ensemble de textes, assemblés et composés par l’Oulipo, qui propose une « interprétation » familiale et

littéraire du livre d’Aliénor : un livre, un seul, parmi l’infini despossibles relié au livre blanc par l’évocation du néant et du plein.

Le livre a une triple inspiration, en lien avec la vie d’Aliénor : lechant des troubadours, car Aliénor était la petite-fille de Guillaume

IX, fondateur du chant du trobar ; la Bible, puisque l’hypothèse la plus probable est qu’Aliénor ait été représentée en train de lire son

psautier, ce qui nous amène à donner place à la Bible mais aussi à Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud ;  enfin, car une fille d’Aliénor,

Marie de Champagne, fut la protectrice de Chrétien de Troyes et contribua à la diffusion de la matière de Bretagne.

 

Le livret est constitué de 31 textes, médiévaux et contemporains. Il sont écrits en occitan, en français et en anglais. Les textes composés

pour le livre d’Aliénor sont essentiellement des poèmes à forme fixequi revisitent le plus souvent des formes anciennes. Quelques poèmes

suivent une forme proposée par Paul Fournel pour l’espace desgisants. L’idée de projeter ces poèmes autour des gisants a été

abandonnée mais la contrainte est restée.

 

Le Livre est mis en scène dans l’abbatiale au cours de l’été 2014.Cette installation vise à explorer les potentialités des différents

supports de lecture et l’incidence qu’ils peuvent avoir sur les formesde l’écriture. Nous vivons une période de transition, où le modèle

classique du livre, lentement affiné au cours des siècles, coexiste avec de nouveaux supports numériques non encore stabilisés (le

navigateur web d’un côté, les liseuses de l’autre),  qui offrent d enouveaux cadres de lecture. Quels changements le passage du codex à

l’écran – pour reprendre une des expressions de Roger Chartier -induit-il sur les formes de la lecture mais surtout sur les formes de

l’écriture ? On n’écrit plus de la même manière quand la dynamiquetemporelle des textes devient possible, quand l’image fixe ou animée

peut devenir un partenaire de l’écriture, quand le lecteur peut êtrepartie prenante de l’écriture. Le numérique s’accompagne d’un

brouillage des frontières entre les arts, où littérature et arts plastiques expérimentent de nouvelles formes de dialogue.

 

Nous proposons aux visiteurs d’aujourd’hui de devenir lecteurs de ce livre dans ses différentes matérialités. Au cœur de cette expérience,

il y a le livre de pierre qu’Aliénor tient entre ses mains et la situation de lecture qu’elle met en scène. On invite le visiteur à circuler entre

les différents points de lecture, pour qu’il ressente les mutations  actuelles liées à la lecture.

 

La scénographie est centrée autour du livre de pierre illuminé parun faisceau de lumière. Le livre d’Aliénor se déploie sous différentes

formes :

– en version imprimée dans un format identique au livre de pierre, il est distribué aux visiteurs. Trois langues s’y cotoient : provençal,

français et anglais ;

deux exemplaires en grand format sont disposés sur deux pupitres qui se font face dans la diagonale des gisants. Les livres peuvent être

feuilletés par les visiteurs, et ils sont aussi projetés sur deux écrans juxtaposés sur un des murs latéraux de la nef (les écrans donnent à

voir les textes et le mouvement des mains sur le livre) ;

le livre, dans un format web, est lisible sur deux tables tactiles installées au pied des gisants et sur le site de Fontevraud en français

et en anglais ;

enfin une animation vidéo, diffusée sur un grand écran disposé sur l’autre mur de la nef, permet de voir, sur une image des gisants, les

textes projetés de manière dynamique.

 

Chacun des lieux de diffraction du texte impose des choix : tous les formats ne sont pas lisibles sous tous les supports. Si la prose

supporte difficilement le passage à l’écran, les formes courtes et les structures formelles complexes y trouvent de nouvelles formes de

mise en visibilité. Nous employons encore le terme de livre mais ses caractéristiques (la notion de page, de table des matières, la clôture…)

ont volé en éclats. (NDLRB. Dommage?) Les poèmes animés sur l’écran ont perdu tout ancrage dans la représentation du livre comme recueil, comme

ensemble de pages reliées.

Avant de parvenir à cette proposition d’installation, bien d’autres pistes ont été explorées, traces d’un cheminement qu’il nous paraît

utile de rappeler. L’idée initiale était de projeter les textes sur le livremême d’Aliénor. La projection aléatoire ou en boucle des textes aurait

donné une illusion de la potentialité : un support fixe qui accueilltous les textes possibles sans être limité par un nombre de pages, un

volume, un poids. En parallèle, des écrans auraient été disposés dansl’abbatiale et des tablettes distribuées aux visiteurs. Lors de notre

première visite avec Jacques Roubaud en août 2013, l’idée de projeter sur le livre n’a pas résisté : le livre était trop petit, gris, usé par le

temps… J’imaginai alors d’avoir sur l’autel (NDLRB. Une  fois que les  bornes ont été  franchies , la sagessse populaire enseigne  qu’il n’y a plus

de  borneune représentation de grande taille (réaliste ou abstraite, tous les possibles ont été envisagés) du livre et des mains d’Aliénor sur laquelle

les textes auraient été projetés. Le visiteur entrant dans l’abbatiale se seraittrouvé face au grand livre, à l’image d’une Aliénor tenant le sien.

Autour de l’autel, les alcôves auraient été utilisées comme espaces delectures sur tablette et comme lieu d’écoute des textes (avec des

douches sonores). Lors de la seconde visite, avec Elena García-Oliveros, cette option a été abandonnée. Outre les problèmes

techniques, la symbolique de l’autel   ( NDLRB. Ah quand même !)  et la rupture d’ambiance entre la nef et l’autel rendaient le projet difficile à tenir.

Resserrer l’installation autour des gisants, dans un espace plus intime et adaptéà la lecture a paru être une meilleure option. Elena García-Oliveros

a alors proposé une projection des textes autour des gisants, qui auraitpu être complétée par une projection sur la coupole. L’idée d’une animation

sur la façade est également apparue, comme moyen de connecter l’intérieur à l’extérieur de l’abbatiale. Plus tard, lors d’une réunion par Skype

(notre outil de travail favori pendant toute ce projet), une autre idée s’est imposée : donner à voir sur écran leinteractions du public avec le livre

imprimé en filmant et projetant les mains parcourant le livre, rappelant ainsi que la lecture est un geste qui associe les mains et les yeux.

D’autres propositions impliquant des interactions plus fortes avec le public, lui permettant de lire et d’enregistrer les textes, ont été évoquées…

Les contraintes techniqueset temporelles sont entrées en jeu et le projet s’est resserré, se centrant sur l’espace autour des gisants.

 

Notre proposition est le résultat de tous ces compromis. Elle propose un cheminement qui fait varier les supports de lecture,

articule le texte avec l’image, introduit la dynamique temporelle dans l’affichage des textes et donne à voir la place du lecteur.

Nous laissons aux lecteurs et visiteurs le plaisir de circuler, de lire et de construire ainsi à partir de ces pages leur propre livre blanc.

 

Valérie Beaudouin

 

http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=12&ved=0CCMQFjABOAo&url=http%3A%2F%2Fwww.abbayedefontevraud.com%2Flelivredalienor%2Fpdf%2Fpdfjs%2Fweb%2Flivret-fr.pdf&ei=hsj9U_s309Zo596C-Ac&usg=AFQjCNE4fza2bv-CiHlFNTw4t7jgxFVdyQ

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Classé dans Département 49 (a) , Abbaye royale de Fontevraud

Conférence de Michel Zink. LES FEMMES, LA POÉSIE ET FONTEVRAUD. Robert d’Arbrissel versus Guillaume IX de Poitiers

Label CERF  ( Centre d’Etudes et de Recherches Fontevristes)

SAMEDI 25 MAI 2013 À 15H00

LES FEMMES, LA POÉSIE ET FONTEVRAUD

Conférence de Michel Zink

L’Abbaye de Fontevraud abrite depuis le 13e siècle le gisant d’Aliénor d’Aquitaine, égérie et propagatrice de la poésie courtoise médiévale.

Michel Zink  propose une vision contrastée de la créativité et de la relation amoureuse au Moyen âge. Les plus anciens fragments poétiques conservés dans les langues modernes de l’Europe sont des chansons de femmes. Pourtant la poésie amoureuse qui triomphe à partir du 12e siècle est masculine !

Elle surgit si soudainement et dans des circonstances si surprenantes que, parmi bien d’autres hypothèses, on l’a imaginée comme le fruit d’une rivalité pour attirer lesfemmes : rivalité entre le premier troubadour, Guillaume IX, comte de Poitiers et duc d’Aquitaine, et le fondateur de Fontevraud, Robert d’Arbrissel.

L’approche de chacun est bien différente, le premier vantant l’amour grâce à une poésie qui les flattait, le second les amenant vers Dieu grâce à une organisation monastique plaçantmoines et nonnes sous l’autorité de l’abbesse. Dans les deux cas, un leurre et un piège tendu aux femmes par les hommes ?

Peut-être, mais ce sont des femmes, à commencer par Aliénor d’Aquitaine et ses deux filles, qui assureront la propagation en Europe de cette nouvelle poésie et des raffinements amoureux dont elle est l’expression.

Et tout au long du Moyen Âge, les chansons de femmes forment le contrepoint discret et tenace de la poésie dite courtoise. C’est, en poésie et en amour, la revanche des femmes sur Guillaume IX, « qui fo uns dels majors cortes del mon e del majors trichador de dompnas », qui « fut un des hommes les plus courtois du monde et un des plus grands trompeurs de dames ».

http://www.abbayedefontevraud.com/conference/les-femmes-la-poesie-et-fontevraud

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Classé dans Ordre monastique de Fontevraud en son ensemble

-A- ROBERT D’ARBRISSEL PROMOTEUR DE l’AMOUR COURTOIS

Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud, avait inauguré la grande fronde féminine qui devait donner ses plus beaux fruits au «printemps du Moyen Âge». À ce fils de prêtre que rien ne semblait prédestiner au succès, à cet anachorète débordé par la renommée de son charisme, il fut reproché de vivre dans la promiscuité des femmes, non tant pour en jouir que pour se mettre à l’épreuve tantalisante de la chair 1.

S’affranchir du péché sans dédaigner ses charmes, c’était ouvertement braver l’Église, rompre avec la culpabilité qu’elle entretient à seule fin d’étrangler ses ouailles dans les lacets de la servitude.

Dans un ouvrage consacré à Robert d’Arbrissel, Jacques Dalarun évoque la rivalité entre ce fou de Dieu (et des femmes) et le premier en date des troubadours, Guillaume, VIIe comte de Poitiers, IXe duc d’Aquitaine. Enragé par le succès du clerc, Guillaume avait poussé le sacrilège jusqu’à construire «une habitation à l’image d’un monastère, disant dans son délire qu’il fondait une abbaye de prostituées 2».

Selon l’historien Reto R. Bezzola, cette rivalité constituerait un événement décisif pour l’invention de l’érotique courtoise.

1 Cf. Jacques Dalarun, Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud, Paris, Albin Michel, 1986

2. Guillaume de Malmesbury, cité par Jacques Dalarun, op. cit., p. 96

Luc Richir. La liberté est sans  pourquoi.

https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=SN_015_0071

D’après Reto R. Bezzola*, c’est le succès de Fontevrault auprès de la noblesse féminine poitevine (et de ses femmes en particulier) qui poussa Guillaume IX, alors poète paillard, cynique et irrespectueux et des femmes et de la religion, à changer sa façon d’écrire pour composer des poèmes d’amour

p. 296 : « pour rivaliser avec l’attraction qu’exerçait sur les âmes l’amour mystique et la soumission à la ‘domina’ , que propageait Fontevrault, il eut le désir d’opposer au mysticisme ascétique de l’époque un mysticisme mondain, une élévation spirituelle de l’amour du chevalier. »

* Reto R. BEZZOLA. Les origines et la formation de la littérature courtoise en Occident (500-1200). Première partie : La tradition impériale de la fin de l’antiquité au XIe siècle. Paris, Champion, 1944. (Bibliothèque de l’École des Hautes- Études, sciences historiques et philologiques, fasc. 286.)

….

Cette hypothèse de Bezzola a été critiquée (comme a été critiquée l’hypothèse arabe). Mais en fait, l’erreur n’est -elle pas de croire à une seule source de l’amour courtois, alors qu’il peut très bien y en avoir plusieurs.

Guillaume, piqué au vif par le succès de Robert d’Arbrissel et des clercs qu’il déteste, aurait décidé lui aussi de chanter l’amour pour la domna, en s’inspirant, non pas des poésies latines de clercs, mais de la poésie arabo-andalouse.

http://www.arbre-celtique.com/forum/viewtopic.php?p=60279&sid=d2fe676a0f71eebd37779ed53f3acadc

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